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Le jeudi 19 septembre 2024, le tribunal administratif de Melun devra examiner le recours des associations Affamons l’incinérateur de Créteil (ALIC), France Nature Environnement et Zerowaste France contre l’arrêté n° 2020-3659 du Préfet du Val-de-Marne en date du 1er décembre 2020 autorisant l’extension de l’incinérateur de Créteil par la construction d’un troisième four d’incinération des déchets.

L’association ALIC s’inscrit dans le cadre d’un large réseau de lutte contre les incinérateurs, avec notamment le combat emblématique du collectif 3R contre la reconstruction de l’incinérateur d’Ivry qui a proposé de véritables alternatives avec le plan B’OM : collecte séparée des bio-déchets, renforcement du recyclage, changement des modes de consommation pour réduire les déchets à la source…

Les insoumis.e.s de Créteil apportent évidemment tout leur soutien à cette lutte et une délégation sera présente au tribunal administratif de Melun.

UNE LUTTE ÉCOLOGIQUE ET ANTIRACISTE

Dans son essai d’écologie politique « La nature est un champ de bataille », Razmig Keucheyan rappelle que le mouvement pour la justice environnementale naît aux États-Unis dans les années 80 dans le sillage des luttes pour les droits civiques. Ainsi, dans ce cadre, la notion de « racisme environnemental » a été forgé par un compagnon de route de Martin Luther King, Benjamin Chavis. Razmig Keucheyan rappelle la lutte victorieuse des habitants noirs et hispaniques du quartier de South Central contre l’installation d’un incinérateur de déchets décidé par la mairie de Los-Angeles.

Le rapport « U.S. Municipal Solid Waste Incinerators : An Industry in Decline » de mai 2019 montre que cette réalité est toujours prégnante aux Etats-Unis :

Le site Unearthed fait le même constat pour le Royaume-Uni : « UK waste incinerators disproportionately sited in most deprived areas – Unearthed » (greenpeace.org).

La ségrégation urbaine en France prend évidemment des formes spécifiques mais néanmoins bien inscrites dans l’histoire de nos villes. L’enquête « Trajectoire et origines » menée par l’INED en 2016 avec le soutien de l’INSEE démontre la forte ségrégation résidentielle qui touche les immigré·e·s et leurs descendant·e·s, et plus particulièrement la concentration des Africain·e·s subsaharien·ne·s, des Maghrébin·e·s et des Turc·que·s dans les quartiers modestes.

En 2014, Lucie Laurian et Richard Funderburg avait publié une étude sur la localisation des incinérateurs en France depuis les années 1960. Les deux chercheurs font le constat que pour chaque pourcentage supplémentaire d’immigré·e·s présent·e·s dans une ville, la probabilité de trouver un incinérateur augmente de 29% (Lucie Laurian & Richard Funderburg, 2014. « Environmental justice in France ? A spatio-temporal analysis of incinerator location », Journal of Environmental Planning and Management, Taylor & Francis).

UN PROJET INUTILE ET POLLUANT

Dans le cas de l’incinérateur de Créteil construit en 1977, il est implanté dans une zone commerciale. Il est notable de constater cependant que les premiers riverains sont les habitants d’un foyer de travailleurs migrants et d’une aire pour gens du voyage ouverte en 2006. A proximité, les quartiers populaires de l’Université et des Choux ne sont pas protégés par la coupure que constitue l’autoroute A86, les pollutions dans ce contexte urbain s’accumulant.

Il faut aussi raisonner à l’échelle régionale pour observer la place que la banlieue occupe pour accueillir de nombreuses activités polluantes. Par exemple, à partir de la fin du XIXème siècle, la municipalité de Créteil proteste pendant de nombreuses années contre la décision de la ville de Paris d’épandre les eaux de ses égouts dans la plaine de Créteil. Il faut attendre l’été 1926 pour que le Conseil général de la Seine décide la suppression de l’épandage à Créteil ainsi que celle de la station du Mont-Mesly, tout l’assainissement devant se faire dès lors en aval de Paris : « Ville de Créteil – Chronologie / développement durable : de 1861 à 1999 » (ville-creteil.fr).

S’agissant des déchets, les trois incinérateurs du Val-de-Marne sur les villes de Créteil, Ivry-sur-Seine et Rungis, incinèrent plus de 20% des déchets de la région Île-de-France pour 11,5 % de la population.

Mais SUEZ-VALOMARNE qui exploite le site de l’incinérateur ne s’embarrasse pas de ces considérations de justice environnementale . L’entreprise bénéficie de la complicité active d’élus locaux pour investir dans un troisième four qui lui permettra de brûler toujours plus déchets pour engendrer des profits. Tant pis pour nos poumons et ceux de nos enfants.

DES ALTERNATIVES ÉCOLOGIQUES SONT NÉCESSAIRES

Quelque soit le résultat du contentieux devant le tribunal administratif de Melun, il est nécessaire d’ouvrir un débat démocratique sur les questions que soulèvent notre dépendance à l’incinération pour alimenter le chauffage urbain de Créteil et les nuisances environnementales que ce mode de gestion des déchets nous impose. Il est pour nous urgent de mettre en œuvre une politique alternative.

Nous défendons ainsi :

– un abandon du projet du troisième four,

– une véritable démarche Zéro déchet au niveau des territoires du Grand Paris en réduisant massivement les déchets à la source, avec la mise en place d’un programme local ambitieux de prévention des déchets ménagers et assimilés,

– de privilégier toujours plus le tri à l’incinération,

– de mettre en place sans délai l’obligation légale de tri à la source des bio déchets,

– une gestion publique de l’usine d’incinération et la réduction progressive de sa capacité à hauteur des besoins de la population des villes adhérentes au SMITDUVM,

– une expertise indépendante pour mesurer les polluants environnementaux,

– renforcement des contrôles de l’inspection des installations classées (DRIEAT) et de l’inspection du travail (DRIEETS) avec de véritables sanctions pénales et administratives en cas de non respect des règles de sécurité,

– des investissements pour améliorer les conditions de travail des salariés et la sécurité du site,

– la mise en place d’une commission suivi de site avec des moyens d’expertise indépendante, ouverte aux associations, syndicats et citoyen.ne.s,

– le développement du réseau de géothermie pour alimenter le réseau collectif de chaleur de Créteil.

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Nous sommes par ailleurs particulièrement inquiets de la gestion défaillante par SUEZ-VALOMARNE de l’incident de la nuit du 28 au 29 février 2024 qui aurait pu conduire à l’explosion d’un silos de l’incinérateur. Alors même qu’une station hydrogène est en cours de mise en place avec ses risques propres importants, la Préfecture a mise en demeure cet été l’entreprise de mettre à jour son étude de danger en intégrant le retour d’expérience du sinistre car elle ne l’avait pas réalisée dans les temps.

Vous pouvez retrouvez les rapports d’inspection concernant cette Installation Classée Pour l’Environnement (ICPE) au titre du code de l’environnement ici : « Installations classées | Géorisques » (georisques.gouv.fr).

Aussi, nous appelons les habitant.e.s de Créteil et du Val-de-Marne à rejoindre la mobilisation et à organiser la vigilance autour de cette installation industrielle dangereuse et polluante. En définitive, s’engager contre l’injustice environnementale est un combat d’intérêt général pour améliorer notre cadre de vie et défendre la santé de toutes et tous.

Thomas Dessalles, co-animateur de Créteil Insoumise