Après l’échec de sa réforme des retraites systémique de 2020, Macron voulait absolument revenir à la charge. Il avait annoncé une réforme paramétrique dans son programme présidentiel de 2022 avec une proposition de report de l’âge légal à 65 ans. Après quelques tergiversations liées à sa faiblesse politique et son absence de majorité au parlement, il lance son projet en ce début d’année avec le soutien de la droite LR. Pourquoi tant d’acharnement alors que la majorité des français est clairement contre un allongement de la durée du travail ?
Une réforme dans le cadre d’une offensive générale
Cette 8ème réforme des retraites depuis celle de Séguin en 1987 (les pensions de retraites sont dès lors revalorisées sur l’inflation et non plus sur l’évolution du salaire moyen), s’inscrit dans un programme complet de mesures austéritaires contre les droits des salariés qui ouvre ce nouveau quinquennat macroniste :
- Blocage des salaires et notamment du SMIC. Au troisième trimestre 2022, les salaires du privé ont baissé de 3 %.
- Réforme de l’assurance chômage qui baisse les droits des chômeurs.
- Renforcement du contrôle des allocataires du RSA et mise en place de France Travail pour remplacer Pôle Emploi.
- Loi DUSSOPT-DARMANIN à venir de stigmatisation des étrangers.
- Loi de répression des locataires et des sans-logis KASBARIAN-BERGE.
S’agissant des retraites, les macronistes mettent carte sur table dans l’exposé général des motifs du projet de loi de finances pour 2023 :
« Les administrations de sécurité sociale participeront à la maîtrise de l’évolution des dépenses, permise notamment par la réforme des retraites, la réforme de l’assurance chômage favorisant le plein emploi et la maîtrise des dépenses de santé (la progression de l’ONDAM s’établira à +2,7 % sur 2024-2025 puis 2,6 % sur 2026-2027). »
Quels objectifs véritables ?
L’argument régulièrement avancé est le sauvetage du système par répartition. C’est une véritable mascarade. Le porte-parole du gouvernement, Gabriel ATTAL, a même sorti le chiffre de 500 milliards d’euros de déficit sur 25 ans. C’est en fait selon le dernier rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) autour de 10 milliards par an sur un montant de plus de 330 milliards de dépense, avec à terme un rétablissement de l’équilibre. Les projections à 2070 du COR reste en tout état de cause soumise à caution car de nombreux aléas peuvent intervenir sur la situation économique générale et les scénarios envisagés basés sur de nombreux indicateurs (taux de chômage, taux de croissance, productivité, inflation, démographie …). A noter que lors d’un précédent rapport, le COR avait annoncé que le régime des retraites serait en déficit en 2022, ce qui n’a pas été le cas.
Au contraire, après deux années d’excédents, 900 millions d’euros en 2021 et 3,2 milliards d’euros attendus en 2022, la branche retraite devrait accuser un déficit minime d’ici 2032 (0,5 à 0,8 point de PIB). De plus, fin 2020, les réserves nettes totales du système de retraite s’élevaient à 8,3 % du PIB (191 milliards d’euros).
Pour comprendre les véritables raisons, il faut plutôt se pencher sur les engagements pris l’année dernière par Macron auprès de la Commission européenne. L’objectif est de revenir au 3 % de déficit en limitant la progression des dépenses publiques en volume hors inflation à 0, 6 %. Or, l’augmentation à venir des dépenses du système des retraites serait de 1,8 %. Il faut donc trouver des économies pour atteindre l’objectif d’austérité. Ce n’est en rien un moyen de financer la transition écologique ou les services publics (santé, éducation, logement …) comme les macronistes tentent de le faire croire !
L’enjeu est évidemment aussi de rassurer les marchés financiers dans un contexte où les taux ont été remontés par la Banque Centrale Européenne (BCE) pour lutter contre l’inflation. Le financement des dépenses publiques sur les marchés financiers a ainsi coûté 51 milliards d’euros. Il est grand temps de sortir de cette dépendance coûteuse !
Dans le même temps macroniste, les cadeaux fiscaux et exonérations de cotisations sociales continuent d’arroser largement les entreprises par dizaines de milliards d’euros ! On estime ces aides à plus de 150 milliards d’euros dont, pour l’année 2022, 75 milliards d’euros d’exonérations sociales qui manquent à la Sécurité sociale.
Un projet de renforcement des inégalités
Le 10 janvier 2023, la première ministre a donc annoncé les mesures de son projet qui comprend le report de l’âge légal à 63 ans en 2027 et à 64 ans en 2030, avec une accélération de la réforme Touraine qui impose 43 années de cotisation désormais dès la génération née en 1965, au lieu de 1973 auparavant. Bercy chiffre les économies ainsi réalisées sur le dos des travailleuses et des travailleurs à environ 9 milliards d’euros en 2027 et près de 20 milliards d’euros en 2032.
En premier lieu, il faut souligner que la moitié des départs en retraite se fait alors qu’on a déjà perdu son emploi (en revanche, 90 % des fonctionnaires sont en emploi) : chômage, invalidité, rsa … Cette réforme va donc contribuer à rallonger le sas de précarité pour les seniors avant de pouvoir bénéficier de leurs droits.
De plus, le départ moyen sera d’ici 2030 à 64 ans du fait des effets de la réforme Touraine de 2013. Cependant, les salariés les moins qualifiés, souvent les plus précaires, ayant commencé à travailler très jeunes, ne pourront plus partir à 62 ou 63 ans alors que leurs 172 trimestres (43 ans) auront été validés.
C’est aussi l’inégalité de l’espérance de vie de 7 ans à 35 ans entre un ouvrier et un cadre (3 ans chez les femmes) qui met en lumière la cruauté de cette nouvelle réforme. C’est aussi l’écart de durée de retraite entre les 20 % d’individus les plus riches et les 20 % les plus pauvres.
L’espérance de vie en bonne santé est autour de 65 ans, mais ce n’est qu’une moyenne, stable depuis vingt ans. Près de 26 % des hommes parmi les 5 % les plus pauvres sont déjà décédés à 62 ans, contre un peu plus de 5 % des plus aisés. 30% environ des 5% les plus modestes sont déjà décédés à l’âge de 65 ans…
Enfin, les femmes perçoivent 22 % de salaires en moins mais c’est plus de 40 % de moins pour les pensions du fait des temps partiels imposés et des carrières coupées, notamment lors des congés maternité. La réforme rend encore plus difficile la possibilité de constituer des carrières complètes.
S’agissant des régimes spéciaux, le gouvernement a prévu d’y mettre fin pour les nouveaux salariés de la RATP, les électriciens et les gaziers, comme c’est déjà le cas à la SNCF. Les salariés actuels de ces professions, de même que les cheminots et les fonctionnaires, y compris ceux de la catégorie active (surveillants de l’administration pénitentiaire, infirmiers spécialisés, contrôleurs aériens…), devront quant à eux partir deux ans plus tard qu’aujourd’hui.
Des compensations illusoires
La loi Travail Macron de 2017 avait exclu la prise en compte de 4 facteurs de pénibilité majeurs (manutentions manuelles de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques et agents chimiques dangereux). Le projet réintègre les trois premiers critères pour permettre un départ anticipé. Cependant, à ce stade, les conditions d’entrée dans ce dispositif sont très restrictives pour un gain mineur, une possibilité de départ à 62 ans, soit l’âge légal actuel.
Une grande partie de la pénibilité du travail est de fait prise en compte par le dispositif de carrière longue, qui concerne d’abord les ouvriers et les employés. Ce dispositif va progressivement disparaître avec le recul de l’âge d’entrée dans la vie active et l’augmentation de la durée d’assurance à 43 ans. Un quart des salariés du privé partent en carrière longue, dans dix ans ce seront moins de 10 %.
Le dispositif carrière longue permet aujourd’hui à ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans de faire valoir leurs droits à la retraite à 60 ans, et à ceux qui ont commencé avant 16 ans de partir à 58 ans – à condition d’avoir suffisamment cotisé (entre 42 et 45 années selon les cas). Environ un retraité sur cinq prend sa retraite au titre de ce dispositif. Avec la réforme du gouvernement, les règles changent selon l’âge d’entrée dans la vie active. Le gouvernement crée un nouveau palier, pour ceux ayant commencé à travailler avant 18 ans. Les personnes ayant commencé à travailler avant 16 ans pourront toujours partir dès 58 ans, soit six ans avant l’âge légal de départ. Ceux ayant été à pied d’œuvre à partir d’un âge compris entre 16 ans et 18 ans pourront faire valoir leurs droits à partir 60 ans, comme aujourd’hui (quatre ans plus tôt que l’âge légal, et non plus seulement deux). Et ceux ayant démarré leur vie professionnelle entre 18 et 20 ans pourront bénéficier de la retraite deux ans avant l’âge légal, soit, à terme, 62 ans. C’est-à-dire, deux ans plus tard qu’aujourd’hui, mais toujours deux ans avant l’âge légal.
Le projet instaure aussi un seuil de retraites minimum à 85 % du SMIC pour une carrière complète (plancher actuel à 75 %), soit actuellement 1200 euros. Cette mesure était déjà prévue depuis 2003 mais elle n’avait jamais été ise en place. Ce dispositif concernerait aussi 2 millions de retraités actuels. Ce n’est vraiment pas loin du seuil de pauvreté à 1128 euros…
Il faut à notre sens réindexer les pensions sur les salaires car c’est le seul moyen à long terme de maintenir le niveau des pensions et imposer 100 % du SMIC comme seuil de retraites minimum. Une des réussites du système actuel est d’avoir que 7 % de retraités sous le seuil de pauvreté contre 14 % dans la population générale. Cet acquis est en danger.
La menace de la capitalisation
L’affaiblissement progressif de notre système de retraites par les contre-réformes successives compromet la confiance des salariés dans le système par répartition. La baisse des pensions conduira les plus favorisés à prendre des régimes de retraite complémentaires par capitalisation.
La loi Pacte du 22 mai 2019 a instauré le plan d’épargne retraite (PER) afin de favoriser le recours aux produits de l’épargne retraite par capitalisation. De généreuses et coûteuses exonérations fiscales sont accordées dans ce cadre.
L’objectif de cette réforme est d’encourager les actifs à se constituer des revenus supplémentaires pour compléter leur retraite obligatoire et engraisser les assurances. Avant la loi Pacte, le marché de l’épargne retraite ne représentait que 230 milliards d’euros d’encours (tous produits confondus), selon le ministère de l’économie. Au 31 mars 2022, ces encours totaux s’élevaient à 280 milliards d’euros, non loin de l’objectif de 300 milliards d’euros fixé par le gouvernement pour fin 2022.
C’est finalement le règne du chacun pour soi et le démantèlement de la solidarité nationale. Combien de jeunes aujourd’hui pensent malheureusement qu’ils ne bénéficieront même pas du droit à la retraite ! Ce sont les fonds de pension qui se frottent les mains car ils regardent avec envie les 330 milliards annuels de notre régime de retraites par répartition.
Un autre projet est possible !
Le programme de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) pour une retraite digne prévoit :
- Restaurer le droit à la retraite à 60 ans à taux plein pour toutes et tous après quarante annuités de cotisation avec une attention particulière pour les carrières longues, discontinues et les métiers pénibles.
- Maintenir l’équilibre des retraites en soumettant à cotisation patronale les dividendes, participation, épargne salariale, rachats d’action, heures supplémentaires, en augmentant de 0,25 point par an le taux de cotisation vieillesse et en créant une surcotisation sur les hauts salaires.
- Rétablir tous les facteurs de pénibilité supprimés par Emmanuel Macron.
- Porter a minima au niveau du SMIC revalorisé toutes les pensions pour une carrière complète, et le minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté.
- Prendre en compte le revenu de solidarité active (RSA) pour valider des trimestres en vue de la retraite.
- Maintenir l’équilibre des retraites en soumettant à cotisation patronale les dividendes, participation, épargne salariale, rachats d’action, heures supplémentaires, en augmentant de 0,25 point par an le taux de cotisation vieillesse et en créant une surcotisation sur les hauts salaires.
- Indexer le montant des retraites sur les salaires.
- Interdire au Fonds de réserve pour les retraites d’investir dans des secteurs polluants.
- Intégrer les années d’étude dans le calcul des annuités.
Pour cela, il faut modifier la répartition des richesses avec notamment les mesures suivantes :
- Lutte contre le chômage, notamment mise en place des 32 h et la création d’un million d’emplois dans le cadre de la bifurcation écologique,
- Augmentation générale des salaires et du SMIC à 2000 euros bruts,
- Assurer l’égalité salariale femmes-hommes ce qui permettrait de financer trois années de retraites en plus pour toutes et tous,
- Lutter contre l’évasion fiscale estimée à près de 100 milliards d’euros,
- Refuser le chantage à la dette publique et créer un pôle public bancaire.
La hausse de cotisation est une piste sérieuse contrairement aux déclarations du gouvernement. L’économiste Michaël Zemmour situe l’équilibre du système en 2027 au niveau de +11 € de cotisation vieillesse par mois pour une personne au SMIC et +22 € pour une personne au salaire moyen en cas de hausse répercutée uniquement sur les salarié·es. Mais ces sommes seront réduites de plus de moitié, dès lors que les employeurs en assumeront leur part.
Globalement, la volonté des libéraux est de bloquer la part des retraites à 14 % du PIB. Entre 1960 et 2015, la part des plus de 65 ans est passée de 11,6% à 18,6% de la population totale (+ 8 points). Dans le même temps, la part du PIB consacrée aux pensions a augmenté de 9 points (de 5% à 14%). D’ici 2050, la part des plus de 65 ans devrait encore augmenter de 7,5 points. Le choc démographique est donc derrière nous et nous avons réussi à l’absorber.
Dans ce cadre, il faudrait donc autour de 5 % de PIB supplémentaire pour financer nos mesures. C’est un véritable choix de société, que l’on souhaite de notre côté, plus humaine et plus solidaire !
Une mobilisation unitaire massive est nécessaire
Les quatre composantes de la NUPES lanceront le 17 janvier une campagne commune contre le projet « injuste et inefficace » de réforme des retraites du gouvernement, qui passera notamment par des meetings et une offre de coopération avec les organisations syndicales de salariés en vue d’initiatives communes.
Des rassemblements auront lieu partout en France, à commencer par un premier meeting mardi 17 janvier à 19 heures à Paris, gymnase Japy.
Le 10 janvier 2023, immédiatement après les annonces de Mme BORNE, toutes les organisations syndicales ont appelé à une grève générale le jeudi 19 janvier. Nous serons à leur côté.
Le samedi 21, la France insoumise soutient la grande marche à l’appel des organisations de jeunesse qui se tiendra à Paris.
A Créteil, nous avons proposé aux forces de la NUPES et de gauche une réunion publique pour dénoncer la contre-réforme des retraites de Macron et défendre notre projet sur les retraites. Nous alertons depuis plusieurs semaines la population. Nous serons aussi mobilisés le 16 janvier pour alerter les étudiantEs de l’UPEC.
Rappelons que l’ordonnance du 26 mars 1982 avait baissé l’âge légal de départ à la retraite à taux plein à 60 ans, plutôt que 65 ans, pour les personnes ayant compté 150 trimestres (37 ans et demi). Cette conquête sociale n’est pas tombée du ciel, elle est évidemment intervenue après une longue lutte sociale et politique ! Rappelons-nous-en !
• 1987 : Loi Seguin impose que les pensions de retraites soient revalorisées sur l’inflation et non plus sur l’évolution du salaire moyen. • 1993 : Réforme Balladur, passage de 37,5 ans à 40 ans de durée d’assurance pour les salariés du privé, passage des 10 aux 25 meilleures années pour le calcul de la pension. • 1995 : Réforme Juppé, retrait du projet de « régime universel ». Les régimes spéciaux gardent leurs particularités grâce aux mobilisations. • 2003 : Réforme Fillon : allongement progressif de la durée de cotisation jusqu’à 41,5 ans. Application de la décote et des règes du régime général au régime de la fonction publique • 2010 : Réforme Woerth : repousse l’âge légal de départ à la retraite de 60 ans à 62 ans, voire 67 ans pour ceux n’ayant pas atteint les 41,5 annuités • 2013 : Réforme Hollande : augmentation de la durée d’assurance jusqu’à 43 ans pour la génération de 1973. • 2020 : Réforme Philippe : échec de la mise en place du système de retraite par points. • 2023 : Réforme Borne : histoire à suivre ! |
DES RESSOURCES POUR MIEUX COMPRENDRE :
https://france.attac.org/se-mobiliser/retraites-pour-le-droit-a-une-retraite-digne-et-heureuse/
https://www.cor-retraites.fr/node/595